Ouvert tous les jours de 11h à 19h — Entrée gratuite —  Infos pratiques 
Tous les jours 11h-19h – Gratuit –  Infos pratiques 

Chamboulement

Exposition

Mathieu Dufois, Entracte, 2020,
dessin à la pierre noire, 
108 x 155 cm, © Galerie C, Neufchâtel - Paris
Mathieu Dufois, Entracte, 2020, dessin à la pierre noire, 108 x 155 cm, © Galerie C, Neufchâtel - Paris

DU 14 JANVIER AU 27 FÉVRIER 2021

GALERIE C - NEUFCHÂTEL

E. LÉOPOLD-ROBERT 1A, CH–2000 NEUCHÂTEL

+41 79 414 00 15

Communiqué

Qui nous a préparé à vivre avec cette inquiétude ?
À quel moment avons-nous cessé d’être en paix ?
Et que faire, maintenant que nous en sommes là, tremblants et tremblés, c’est-à-dire engagés si souvent malgré nous dans le vacillement général des choses ?
(1)

Louvoiement, télescopage, heurt, fracas. Convulsion des espaces de pensées, vulnérabilité des corps-âmes incarnés. L’impermanence est dé-liaison, premier acte d’une inquiétude et d’un effarouchement voués à demeurer.Chamboulement, ou l’invite à se mouvoir dans l’oeuvre de Nicolas Aiello (1977, France), Mathieu Dufois (1984, France), Hipkiss (1964, Angleterre) et Massinissa Selmani (1980, Algérie). Chamboulement, ou l’invite à se laisser abreuver du vertige révélé par l’ébranlement, le brisement, le saisissement.

Séjourner, loger, habiter, autant qu’être habité par le trouble.(2) Admettre la mouvance et la transformation, ne rien vouloir retrouver, ployer impudiquement sous le joug du désordre.

C’est ainsi que MASSINISSA SELMANI renverse le continuum de l’existence et brise la linéarité du temps. Il s’abreuve de fragments photographiques issus des médias. L’artiste algérien isole et se défait du contexte initial afin de créer une brèche, un interstice dans lequel l’imagination fleurit. Mais soyez attentif·ve·s à cet entre-deux, en son coeur se pressent la catastrophe. C’est d’un véritable pouvoir de condensation du réel dont il est question dans le travail de Massinissa Selmani: entre dérision et gravité, l’oscillation permet l’émergence d’une sédimentation. La série Amorces dans l’air léger reprend donc cette méthodologie propre à l’artiste: différents éléments sont prélevés d’images de presse afin d’être assemblés au sein d’une scénographie ambigüe où sourd la tempête, la contestation. Dans ce même mouvement d’auscultation des images de la presse écrite, majoritairement de conflits, les dessins de la série Les coques lourdes révèlent des figures adoptant une posture de repli et de retranchement. En émane, au-delà de la violence latente, une lascivité inattendue. Dans l’ensemble de son travail, l’artiste tend à user de l’absurde et de l’ironie afin de mettre à distance la violence. Les contours disparaissent, la dérision s’empare des dessins et l’oeuvre se nourrit de l’intime, du poétique et du politique.

Où donc se noie notre souvenir ?
Debout dans mon présent
Le passé l’avenir sont mes fleurs de saison
(3)

MATHIEU DUFOIS nous mène à l’aube des images – ces fantômes traversant le temps et les lieux pour mieux entrelacer notre expérience du présent. Puisant dans le cinéma noir des années 40-50, l’artiste français nous conduit au pays de la première fois. Il ausculte, se réapproprie, possède les souvenirs et les images qui en découlent. Suite à un décryptage minutieux de séquences de films ou de photographies d’archives, Mathieu Dufois fait se rencontrer des paroles nues, il contorsionne la chair du temps, le silence multiplie le vertige: une substance nouvelle éclot. L’effarement dissipe les décors, nous voilà sans issue dans la houle du tourment. La précision narrative et émotive dont se revêt le travail de Mathieu Dufois fait acte d’une impressionnante maîtrise de la pierre noire.

HIPKISS enlace le mystère, actionne toute une vie. Les Capitules modèlent un monde tissé à la fois dans la fibre du végétal tout en étant empreint d’un foisonnement mécanique. Étincelles dans le dédale de leur pensée, les dessins du duo britannique ramifient un abîme où les profondeurs souterraines se joignent aux voix terrestres.

Seules les traces font rêver (4), disait René Char à propos de la poésie. Les traces de NICOLAS AIELLO, par rythmes et remous, creusent un sillage, brassent, nous entraînent sur les rivages de l’éveil. Le temps tisserand semble s’être invité dans les Archipels de l’artiste. Dans l’incessant renaître, nous sommes convié·e·s à nous loger dans la ligne du dessin. Plissé de la peau, graphie organique, macrocosme inconnu, trajectoire lente guidée par le souverain désir d’envahir le vide ? C’est d’un univers sans enclos dont nous sommes témoins, libre à chacun·e d’être l’hôte de ses filaments.

Accompagnons les fleurs du chamboulement qui poussent dans nos veines. Acceptons le vertige d’un temps qui nous laisse orphelin·e·s, mais qui inaugure l’aube entre nos doigts. C’est à cela que nous invite cette exposition, à se laisser emporter par les reflets que livrent les artistes.

 

(1) Camille de Toledo, L’inquiétude d’être au monde, Paris: Verdier, 2010, p.14
(2) Florence Caeymaex, Vinciane Despret, Julien Pieron, et al., Habiter le trouble avec Donna Haraway, Bellevaux: éditions Dehors, 2019.
(3) Andrée Chedid, «Vers quel retour ?» et «Debout dans mon présent» in: Textes pour un poème suivi de Poèmes pour un texte, Paris: Gallimard, 2020, p.164 et 84.
(4) René Char, extrait de La Parole en archipel.